Pour le Professeur Joseph Ndayisaba, « il faut former autrement les cadres burundais » (2024)

Le système éducatif burundais est l’embryon des cadres de demain. Pour des lendemains qui chantent, il est nécessaire de faire face aux défis et de réformer notre manière de former. Le Pr. Joseph Ndayisaba expose son point de vue.

D’aucun pourrait considérer cette réflexion comme une accusation du système. Qu’il n’a été relevé que «ce qui ne va pas». C’est vrai, le Burundi a fait des progrès, reconnus sur la scène internationale, en matière de gestion du système: les taux d’accès au primaire et au secondaire se sont nettement améliorés ces dernières années, des efforts importants ont été fournis dans la formation des enseignants, la construction des écoles, l’accès à l’école par les enfants vulnérables… Mais aussi, plusieurs enseignants coupables de délits sexuels avec des élèves ont été sanctionnés, certains même révoqués.

Malgré les actions positives menées dans le secteur, il faut s’interroger sérieusem*nt sur la qualité du produit fini qui sort de nos écoles, si tous les efforts de formation ne sont pas vains, s’ils ne sont pas accompagnés d’une solide éducation aux valeurs humaines.
A chaque époque correspondent des valeurs dominantes. D’autres références s’imposent. Nos enfants ont d’autres sources où ils puisent des valeurs et des objets d’identification : la télévision, internet, les amis, les sectes plus ou moins sérieuses,…vulgarisent «leurs valeurs», et nous n’avons pratiquement pas de contrôle sur ces lieux «d’éducation» plus ou moins informelle…

Politisation du système éducatif

Les intérêts politiques aussi ont pris beaucoup d’importance aujourd’hui. Ils rendent difficile la confection d’un message commun en direction de nos jeunes en général, et de nos élèves en particulier. Au point qu’on ne s’entend même plus sur les objets d’identification. La politique s’est infiltrée partout, y compris dans les écoles, où se manifestent de plus en plus de comportements d’intolérance, de solidarités négatives, de protections de coupables de graves délits, comme le viol d’élèves, sur base d’appartenances politiques.

Des phénomènes de violences contre les enseignants méritent aussi d’être relevés. Tout le monde a encore en mémoire le cas de Gihungwe, en commune Gihanga, au cours de l’année scolaire 2008-2009, où des enseignantes ont été frappées et violées par des parents et des élèves, sur fond d’intolérance politique et régionaliste. Des agressions contre des enseignants ont aussi eu lieu à Muyinga, à Ruyigi, à Karusi, à Bururi…

De manière générale, nous avons un système d’enseignementhyper sélectif, qui élimine beaucoup d’élèves avant qu’ils n’aient pu acquérir des compétences à même de leur servir dans la vie. Nous avions au primaire un taux d’achèvement de 46% en 2009-2010, et 19% à la fin du 1er cycle du secondaire. A l’Université du Burundi, ce taux est en moyenne de30%1. Par ailleurs, il existe peu d’ouverture en dehors du parcours classique: primaire – humanité – université. Le parc de l’enseignement professionnel et technique est de 6%. Ceci pousse les parents et les élèves à vouloir pousser le plus loin possible les études, par tous les moyens, afin de réaliser ce parcours. Dans l’esprit des parents et des élèves, en dehors de ce parcours, les chances de devenir quelqu’un sont minces.

L’autre élément du contexte lié à l’organisation scolaire est la manière dont les enseignants sont formés. Dans tous les cas, ils ne sont pas formés pour servir de moteur et de modèle pour leurs élèves. Ils apprennent des contenus avec des méthodes d’enseignement archaïques. En situation de classe, ils sont confrontés à des effectifs trop importants qu’ils n’ont pas appris à gérer et à contrôler, ils n’en ont d’ailleurs pas les moyens…

Au secondaire, voire même au primaire, il arrive que des enseignants ne soient pas capables d’enseigner certains chapitres, et les sautent tout simplement, avec les conséquences que l’on sait sur les résultats aux examens nationaux, ou alors recourent à des prises de notes sans explications (ibinjana). Certains enseignants utilisent leurs propres notes prises pendant leurs études, sans se soucier du programme en vigueur…L’argument le plus souvent avancé est qu’ils n’ont pas de manuels…

Il y a lieu de craindre une aggravation de ces situations au regard des constats relevés par les conseillers des Bureaux Pédagogiques ainsi que les inspecteurs: «Le leadership au niveau des inspections communales et surtout au niveau des directions scolaires tant au primaire qu’au secondaire commence à s’effriter sérieusem*nt. L’autorité n’est plus respectée, les manifestations d’indiscipline commencent à se multiplier, les manquements en matière de déontologie deviennent de plus en plus nombreux, le phénomène de régionalisme s’exprime au grand jour. Ces mêmes responsables incriminent le fait de ne pas tenir en compte l’expérience et les compétences pour la nomination des responsables scolaires, et qu’à chaque changement de régime, tout le staff remet le tablier alors que ces postes sont purement techniques.»

Les méthodes d’enseignement et d’évaluation

Les méthodes d’enseignement utilisées dans notre système favorisent le cumul des connaissances théoriques, souvent apprises par cœur. Nous ne cultivons pas chez nos élèves la curiosité, le plaisir d’apprendre, l’autonomie, ni les compétences, les savoir-faire et les savoir-être. Si nos évaluations consistent à demander aux élèves de reproduire par cœur le contenu de notes qu’ils n’ont probablement pas compris, à poser des questions pièges, bref, si nous pratiquons la pédagogie de l’échec, les élèves trouvent la parade dans la tricherie. En effet, c’est tentant d’écrire les notes sur la chemise ou sur les cuisses, si on éprouve d’énormes difficultés à tout mémoriser.

Tout le monde sait qu’on ne peut pas tricher avec une compétence: vous l’avez ou vous ne l’avez pas. Si vous êtes devant une classe entrain d’enseigner, il est très facile de constater que vous êtes un très bon ou un très mauvais enseignant.

Pour le Professeur Joseph Ndayisaba, « il faut former autrement les cadres burundais » (2024)
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Author: Chrissy Homenick

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