« On doit décloisonner notre histoire » ! (2024)

Dr Eric NDAYISABA est chercheur et enseignant d’histoire à l’Ecole Normale Supérieure-ENS. Dès son jeune âge, il s’intéresse aux histoires que lui racontaient ses grands-parents sur certains faits et anecdotes du passé notamment les pratiques coloniales (chicote, portage, corvées,…), la lutte pour l’indépendance, les premières crises sociopolitiques, les débuts du thé,… C’est au lycée qu’il aura l’idée de continuer ses études universitaires en histoire, bien qu’il soit aussi passionné de littérature française. A l’université du Burundi, il sera encore plus motivé de poursuivre ses études en histoire. Plus tard, il obtiendra une bourse pour poursuivre ses études de Master en Cultures, Arts et Sociétés (option Histoire) à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (2015-2016). A la fin de sa formation doctorale (de 2016 à 2019), il réalise une thèse sur « Le thé au Burundi, des années 1950 à 2018 : Politique publique de développement, rente et appropriations » sous la direction des professeurs Christian Thibon et Alexandre Hatungimana. Découverte.

Akeza.net : Qui est Eric Ndayisaba ?

« On doit décloisonner notre histoire » ! (1)L’historien Dr Eric NDAYISABA, au bureau des professeurs à l’ENS (Ecole Normale Supérieure). ©Akeza.net

Dr Eric NDAYISABA : Je suis tout simplement burundais. Fils ainé, je suis né le 21 juillet 1984 dans la maternité de l’hôpital d’Ijenda, à environ cinq kilomètres de ma colline Matyazo de la commune Rusaka en province de Mwaro.

Akeza.net : Quel est ton parcours scolaire et professionnel ?

Dr Eric NDAYISABA : De 1992 à 1999, j’ai fait l’Ecole Primaire de Nyamugari, à un kilomètre de la forêt sacrée de Mpotsa, abritant les tombeaux des reines-mères, en commune de Rusaka. J’ai par après été orienté au Lycée de Gitega (Ecole Normale des Garçons) que j’ai fréquenté de 1999 à 2006, de la septième année à la première Lettres Modernes. A l’Université du Burundi, j’ai fait une formation de licence en histoire, option enseignement et recherche. Ce qui m’a donné l’occasion de poursuivre les études de Master en Cultures, Arts et Sociétés (option Histoire) à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (2015-2016). En fin, pour la formation doctorale de 2016 à 2019, j’ai réalisé une thèse sur « Le thé au Burundi des années 1950 à 2018 : Politique publique de développement, rente et appropriations » sous la direction des professeurs Christian Thibon et Alexandre Hatungimana, que je remercie énormément.

Coté professionnel, l’enseignement m’a attiré, très tôt. En 2006, pour la première fois, j’ai donné des cours au Collège Communal avant de commencer la formation universitaire. Jusqu’aujourd’hui, j’ai déjà enseigné dans tous les niveaux, de la maternelle à l’université en passant par le collège et le lycée. J’ai aussi exercé dans divers autres domaines surtout en France pour financer une partie de ma formation doctorale.

Akeza.net : D’où vient ton intérêt pour l’histoire ?

« On doit décloisonner notre histoire » ! (2)L’historien Dr Eric NDAYISABA, au bureau des professeurs à l’ENS (Ecole Normale Supérieure). ©Akeza.net

Dr Eric NDAYISABA : J’ai toujours aimé les histoires que me racontaient mes grands-parents sur certains faits et anecdotes du passé : les pratiques coloniales (chicote, portage, corvées,…), la lutte indépendantiste, les premières crises socio-politiques, les débuts du thé,…Mais, l’idée d’étudier l’histoire s’est progressivement construite depuis le lycée même si j’avais aussi une attraction pour la littérature française. A l’université, j’ai eu la chance d’habiter avec deux étudiants historiens en terminal qui m’ont motivé. Je dois également dire que, comme j’ai été délégué de classe, je pouvais approcher les professeurs sans complexe. Certains m’ont donné de riches conseils qui m’ont vraiment aidé.

Akeza.net : En tant qu’enseignant d’histoire, que penses-tu de l’avenir de l’histoire du Burundi ?

Dr Eric NDAYISABA : Nombreux sont ceux qui pensent que l’histoire ne fait pas partie des formations qui payent bien au même titre que la médecine, l’économie, le droit, la technologie ou les sciences pures. Aussi, en plus de sa sensibilité, l’histoire est très exigeante en termes de disponibilité et de critique des sources. C’est pourquoi très peu de personnes veulent s’engager en histoire, encore moins pour la période ancienne. Depuis les années 1990 la science politique a pris les meilleurs étudiants du département d’histoire. Les étudiants qui voudraient poursuivre l’histoire rencontrent des difficultés liées au manque de financement et de disponibilité de la documentation. Ainsi, on sait déjà qu’il y aura bientôt un manque d’historiens. Il faudra vraiment soutenir quelques jeunes déjà inscrits en Master pour remédier au défi de la relève et du renouvellement du savoir historique.

Akeza.net : Quelle est l’importance des mémoires dans l’exploitation de l’histoire du Burundi ?

« On doit décloisonner notre histoire » ! (3)L’historien Dr Eric NDAYISABA, à l’ENS (Ecole Normale Supérieure). ©Akeza.net

Dr Eric NDAYISABA : Dans une société de l’oralité comme la nôtre, les témoignages constituent toujours un élément important de la connaissance et de la réconciliation avec le passé. La mémoire veut en fait répondre à une demande sociale croissante pour l’histoire. Mais, il faut la traiter avec attention en la plaçant dans le contexte de sa production, en tenant compte de ses faiblesses telles que la faillibilité, la discontinuité, la subjectivité, la malléabilité, etc. En rendant, donc, vivantes les mémoires souvent en débandade, on comprend que les faits historiques méritent d’être dits, écrits et commentés pour essayer de forger un récit national.

Akeza.net : Peut-on se reposer uniquement sur les mémoires dans l’étude de l’histoire ?

Dr Eric NDAYISABA : Pas du tout. L’histoire comme science a sa méthode qui n’est pas basée que sur les mémoires. Elle a recours, entre autres, aux documents écrits, aux traces matérielles et bien-sûr aux sources orales. Toutes ces sources sont complémentaires pour essayer d’arriver à la connaissance du passé.

Akeza.net : Comment bien exploiter l’histoire du Burundi ?

Dr Eric NDAYISABA : L’opinion veut que notre histoire nationale ne soit que politique, et de surcroit celle du conflit politico-ethnique. On doit décloisonner notre histoire en intégrant différents autres domaines souvent négligés tels que le social, le culturel ou l’économique pour façonner l’unité du savoir dans toute sa globalité et sa complexité.

Il y a aussi moyen de penser l’histoire par le « bas » à travers l’étude du vécu social au sein de petites entités ou structures.

Akeza.net : Quel serait votre commentaire à propos de la croyance des Burundais en des « ibihume » ou « ibisigo » des marais?

Dr Eric NDAYISABA : Chaque société a tout un ensemble d’éléments de croyances qu’elle considère plausible. Les Burundais croyaient donc aux esprits dans un univers magico-religieux fort complexe. L’important est de comprendre l’imaginaire socioculturel de leur légitimation.

Akeza.net : Est-ce que l’histoire évolue au fur du temps ?

Dr Eric NDAYISABA : L’historiographie montre bien que la science historique évolue dans le temps (voire dans l’espace) à travers de nouveaux apports théoriques, épistémologiques et méthodologiques, de la disponibilité des sources et de l’engagement des chercheurs pour le renouvellement du savoir. L’histoire est utile dans la mesure où les sociétés ont toujours besoin de puiser dans le passé pour vivre le présent et penser l’avenir.

Akeza.net : A base de votre expérience, comment procéder pour bien étudier l’histoire ?

Dr Eric NDAYISABA : Pour question d’originalité et d’objectivité, l’histoire se fait au moyen des sources, alors que celles-ci ne sont pas toujours disponibles. Pour la plupart des cas, on doit patienter sans toutefois abandonner son objet d’étude. En plus, la modestie exige de considérer que les « autres » peuvent avoir raison et surtout que tout travail est toujours une contribution pour un vaste chantier. Il importe donc de prendre le temps suffisant de lire les autres avant d’écrire.

Akeza.net : Quel conseil aux futurs auteurs de l’histoire du Burundi ?

« On doit décloisonner notre histoire » ! (4)L’historien Dr Eric NDAYISABA, au bureau des professeurs à l’ENS (Ecole Normale Supérieure). ©Akeza.net

Dr Eric NDAYISABA : Le métier de l’historien est difficile mais noble. L’historien a toujours revendiqué son rôle de gardien de la mémoire nationale et de médiateur du débat citoyen. Il existera toujours une demande sociale pour l’histoire. Répondre à cet appel exige plus de détermination, mais avec moins de sollicitations. Aussi, pour bien jouer son rôle social, le chercheur a besoin de composer avec d’autres catégories de personnes intéressées par les questions d’intérêt national, à travers l’animation de débats citoyens.

Akeza.net : Ton rêve d’enfance ? Le métier que tu aurais aimé faire ?

Dr Eric NDAYISABA : Je ne me souviens pas très bien de mes rêves d’enfance. Ce n’était pas la préoccupation. Mes souvenirs les plus lointains tournent plutôt au tour de la famille, des voisins, mais aussi des activités quotidiennes telles que la garde de vaches. Je me souviens aussi que pendant la guerre civile des années 1990, j’avais le plaisir d’écrire (partout) ce que j’écoutais à travers la radio (généralement des mots liés à la guerre) sans en comprendre le sens. C’est normal, toute crise nous enlève l’insouciance pour affronter un nouveau vécu de peur et de curiosité.

A propos du métier, il m’est arrivé de penser, peut-être, à l’armée, comme c’est d’ailleurs le cas pour la plupart des jeunes de ma génération (des années 1990). Mais, je suis plutôt fier de ce que je fais : l’enseignement et la recherche. C’est un métier enrichissant. On a toujours un espace social pour développer et diffuser ses idées.

Akeza.net : Un sport favori ?

Dr Eric NDAYISABA : Je n’ai pas de sport favori. Mais, quand j’ai le temps je fais la course. A l’école secondaire, je m’intéressais au basketball et au handball.

Akeza.net : La musique ?

Dr Eric NDAYISABA : Je n’ai plus le temps de m’y intéresser davantage. Mais il m’arrive d’écouter Canjo Hamisi, Kidumu, Bahaga, Masamba ou les chansons des clubs traditionnels tels que Giramahoro, Higa, Umuhanga, Ihunja,…

Akeza.net : Ton plat préféré ?

Dr Eric NDAYISABA : Généralement, je mange tout ce qui est disponible.

Akeza.net : La plus belle date à retenir dans l’histoire du Burundi ?

Dr Eric NDAYISABA : Le 1 juillet 1962 fait l’unanimité comme date de l’Indépendance retrouvée. Il y avait une bonne ambiance à travers tout le pays.

Akeza.net : Comme historien, qu’aimerais-tu laisser en héritage ?

« On doit décloisonner notre histoire » ! (5)L’historien Dr Eric NDAYISABA, à l’ENS (Ecole Normale Supérieure). ©Akeza.net

Dr Eric NDAYISABA : D’abord, sur une période de quelques décennies, j’aurai simplement servi pour la formation de pas mal de jeunes. Ensuite, je pense également à mes recherches qui contribueront à la connaissance et au « dialogue » à propos de notre histoire nationale. Du moins, si on pouvait comprendre l’intérêt de la collaboration entre l’université et les autres institutions aussi bien publiques que privées.

Propos recueillis par Melchisédeck BOSHIRWA

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